Le design GWENT 1 : le coût de recrutement

Le design de GWENT 1 : le coût de recrutement


Bienvenue dans cette nouvelle série d'articles sur la conception de GWENT. Régulièrement, nous publierons des articles de fond sur les grands concepts de GWENT, les philosophies de conception et d'autres sujets appropriés. Nous vous invitons à nous indiquer les sujets que vous aimeriez voir traités dans cette colonne !


Article proposé par le Gameplay Designer Jean Auquier

L'une des modifications majeures introduites dans GWENT avec Homecoming est le système de recrutement. Les joueurs de la bêta doivent se souvenir d'une époque où il existait une troisième couleur aux côtés des cartes Bronze et Or : les cartes Argent ! Les jeux se composaient d'un maximum de 4 cartes Or uniques, 6 cartes Argent uniques et au moins 15 cartes Bronze (avec une limite de 3 copies par carte).

Aujourd'hui, nous allons nous pencher sur le système de recrutement, depuis les raisons de son ajout dans GWENT jusqu'à son impact sur le jeu.


Tout d'abord, le système de recrutement est en fait une évolution du système de limites par couleurs qui existait déjà dans la version bêta de GWENT. Il convient donc pour commencer de comprendre pourquoi ce système existait.

La majorité des jeux de cartes compétitifs comprennent des systèmes de segmentation des cartes. L'un des plus courants, popularisé par Magic: The Gathering, est le système de mana, aussi utilisé dans des jeux comme Hearthstone ou Legends of Runeterra. Il existe aussi d'autres systèmes. Le jeu Yu-Gi-Oh, par exemple, a utilisé de multiples variantes consistant à sacrifier une de ses propres unités pour en jouer une plus forte, tandis que Weiß Schwarz utilise un système de niveaux dans lequel les cartes de niveau supérieur ne peuvent pas être jouées en début de partie, mais seulement lorsqu'on se rapproche de la défaite. Pour en revenir à GWENT, l'ancien système de limites par couleurs et le système de recrutement actuel segmentent tous les deux les cartes par le biais de restrictions de création des jeux.

Avec cette segmentation, les cartes peuvent avoir des valeurs moyennes différentes entre les différents groupes, car elles sont opposées à d'autres cartes du même groupe plutôt qu'à toutes les cartes du jeu. Le tri de ces groupes par valeur moyenne s'appelle la "courbe de force", car il permet de visualiser l'évolution de la valeur des cartes entre les groupes. Les systèmes de mana, par exemple, présentent généralement une augmentation exponentielle plutôt que linéaire, car les cartes ayant un coût plus élevé se révèlent moins polyvalentes que celles ayant un coût plus bas, et elles doivent donc être nettement plus fortes.

Quel est l'intérêt de tout ça ? Laisser un plus grand espace de création ! Les limites favorisent la créativité. De quelle manière cela est-il bénéfique pour GWENT ? Eh bien, le jeu repose sur un système d'enchères. En considérant que les deux joueurs commencent la partie avec le même nombre de points à dépenser, le but est de gagner des manches avec le plus faible écart de points possible ou, au contraire, d'en perdre avec le plus grand écart de points possible, ce qui indiquerait que l'adversaire a gaspillé des points. Ainsi, vous pouvez atteindre la manche finale avec plus de points. Atteindre cet objectif avec des cartes de valeurs différentes est plus complexe et intéressant, surtout si l'on considère que la partie se déroule par tours.


Sachant cela, il est plus simple d'expliquer l'évolution d'un système de limites par couleurs vers un système de recrutement. En passant de 3 groupes (Bronze, Argent et Or) à un ensemble d'au moins 10 groupes (de 4 à 13+ points de recrutement), nous avons ouvert un plus grand espace de création.

Toutefois, cela a un prix. Le système de limites par couleurs était assez simple d'accès. Les restrictions de création des jeux étant assez strictes, il suffisait de choisir ses cartes Or, Argent et Bronze en faisant attention aux synergies, il n'y avait pas d'autre question à se poser ! Comme vous deviez avoir 15 cartes Bronze et que vous pouviez avoir 3 copies de chaque carte, vous n'aviez même que 5 cartes Bronze à choisir. Ajuster votre jeu était également simple, car si l'on écarte les synergies, l'ajout ou la suppression d'une carte n'affectait que son groupe.

En comparaison, le système de recrutement vous oblige à vous poser des questions comme "Combien de cartes de milieu et de fin de partie dois-je avoir ?" ou "Comment dois-je répartir le coût de recrutement de mes cartes Bronze ?" C'est le genre de questions que l'on peut aussi se poser sur sa courbe de mana ou la proportion de cartes de terrain dans d'autres jeux.

Qui plus est, un changement dans le jeu peut avoir un impact direct sur le reste des cartes, alors que vous cherchez à utiliser parfaitement les points de recrutement à votre disposition. Toutefois, ceci peut s'avérer bénéfique. En apportant des restrictions à la création des jeux, le système de recrutement répond assez naturellement aux questions qu'il pose. Le processus consiste généralement à créer rapidement le jeu en sélectionnant les cartes que l'on souhaite jouer, puis à ajouter des cartes ayant un coût de recrutement plus élevé ou plus faible pour atteindre la limite de recrutement et enfin à affiner le jeu en déplaçant les points de recrutement.

Obtenir un jeu avec le minimum de cartes (et donc un jeu optimal) est essentiel dans ce cadre. Souvent, les systèmes de recrutement des autres jeux ne comportent pas de limitations strictes du nombre d'éléments pouvant être inclus. C'est donc au joueur de décider s'il préfère utiliser un faible nombre d'éléments ayant un coût de recrutement élevé ou un nombre plus important d'éléments en diluant ses points de recrutement. En définissant un nombre clair de cartes entre lesquelles répartir les points de recrutement, Gwent épargne ces dilemmes aux joueurs, qui peuvent se concentrer sur la manière d'allouer ces points de recrutement.


En parlant de ça, la limite de recrutement de base est de 150 points, auxquels s'ajoutent en moyenne 15 points procurés par la capacité de chef. Et comme il faut créer un jeu de 25 cartes, cela fait une moyenne de 6,5 points de recrutement par carte. Ajouter au jeu une carte en dessous de ce coût moyen de recrutement permet d'y intégrer une autre carte plus coûteuse, et inversement. Choisir une carte ayant un coût de recrutement de 4 points, par exemple, libère 2,5 points de recrutement, que vous pouvez utiliser pour ajouter une carte ayant un coût de recrutement de 9 points. N'importe quelle autre combinaison est aussi possible. Si vous sélectionnez une carte ayant un coût de recrutement de 14 points, comme le Fantôme, vous devrez ajouter trois cartes ayant un coût de recrutement de 4 points pour compenser !

Cela nous amène à l'un des sujets les plus importants liés au système de recrutement : la polarisation. Si l'on ne tient pas compte des effets des cartes, dans une partie de Gwent, un joueur ne peut jouer que 16 des 25 cartes composant son jeu. Si toutes les cartes sont proches du coût de recrutement moyen, cela signifie qu'environ 60 points de recrutement restent inutilisés durant une partie de Gwent. En "polarisant" votre jeu, c'est-à-dire en ajoutant des cartes ayant un coût de recrutement plus élevé et, par conséquent, des cartes ayant un coût de recrutement plus faible, vous pouvez réduire le nombre total de points de recrutement inutilisés (s'il ne reste dans votre jeu que les cartes ayant un coût de recrutement bas)… mais aussi l'augmenter ! Le risque de perdre de la valeur (si vous ne tirez pas vos cartes Or) augmente avec le niveau de polarisation de votre jeu. Ce n'est pas nouveau, ce risque existait aussi avec le système de limites par couleurs. Le système de recrutement permet simplement aux joueurs de contrôler le niveau de polarisation de leur jeu.


Même si cela ajoute un risque de polariser votre jeu, la mécanique d'échange des cartes permet de limiter fortement ce risque, et cela vaut donc le coup de le prendre. De ce fait, les cartes ayant un coût de recrutement de 4 points sont destinées à être écartées pendant les phases d'échange des cartes. Vous n'avez pas d'intérêt à les jouer, elles sont intégrées à votre jeu uniquement pour vous permettre de jouer des cartes plus coûteuses.

C'est une limite du système de recrutement tel qu'il fonctionne dans GWENT. D'ailleurs, c'est une des raisons pour lesquelles des cartes ayant un coût de recrutement inférieur à 4 points ne seront (probablement) jamais ajoutées dans Gwent. En fait, nous avons testé des cartes ayant un coût de recrutement nul durant le développement de Homecoming, mais elles ne faisaient qu'augmenter le coût de recrutement moyen des autres cartes, alors leur valeur (ou plutôt leur absence de valeur) ne comptait pas, car elles étaient toujours écartées lors des échanges durant les parties.

C'est aussi pour cette raison que la valeur des cartes Bronze a augmenté au fil des ans. En mettant aussi l'accent sur les synergies, nous pouvons faire en sorte que vous y perdiez moins si vous devez en jouer certaines (en perdant des points de recrutement), et même rendre intéressant le fait de les jouer.

Il y a autre chose d'intéressant à noter : puisque les cartes ayant un coût de recrutement de 4 points ne doivent pas faire nécessairement partie de votre stratégie de jeu, elles sont idéales pour offrir des solutions techniques dans des cas précis. Pour cela, les joueurs connaissent depuis longtemps des cartes comme l'Écureuil, mais il y a d'autres exemples, comme les cartes de purification, dont un grand nombre ont un coût de recrutement de 4 points depuis la mise à jour 9.4.


Jusqu'à présent, nous avons laissé de côté les effets des cartes, mais les cartes d'éclaircissement et les cartes en jouant d'autres permettent de puiser dans les points de recrutement inutilisés… Bien sûr, cela a un prix. Imaginez un monde dans lequel un point de recrutement vaut un point de force. Si vous pouvez finir la partie avec moins de cartes dans votre jeu que votre adversaire, cela voudra dire que vous avez pu utiliser davantage de points de recrutement et donc pu jouer davantage de points !

C'est pourquoi ce type d'effets a souvent un prix élevé en termes de points. Si l'on écarte les avantages comme la cohérence et l'apport important de points de force, nous devons équilibrer le fait que vous utilisez une partie des points de recrutement qui seraient restés inutilisés autrement. Voilà aussi pourquoi lorsque vous évaluez une carte d'éclaircissement, il faut soustraire 4 points de la somme des coûts de recrutement de la carte d'éclaircissement et de la carte éclaircie, car le coût de recrutement minimum qui serait resté inutilisé sans l'éclaircissement aurait été de 4 points. Prenons un exemple simple. Si vous jouez deux cartes Brigade Impera, leur valeur totale sera de 8 points de force pour un coût total de recrutement de 10 points. Si l'on soustrait les 4 points de recrutement supplémentaires que la carte retire du total inutilisé, on descend à un rapport de 8 points de force pour 6 points de recrutement (sans compter la valeur intrinsèque de cohérence apportée par l'éclaircissement), ce qui est bien plus compréhensible qu'un rapport de 8 points de force pour 10 points de recrutement.

Chose intéressante, on peut appliquer la réflexion inverse pour les cartes Écho. Puisque la carte grossit le jeu en y retournant, un total de points de recrutement plus élevé restera inutilisé ; c'est un désavantage dont il faut tenir compte en calculant la valeur de la carte. Pour l'évaluer correctement, il faut ajouter 4 points de recrutement à son coût, car c'est le coût de recrutement minimum que vous perdrez en jouant deux fois la carte Écho.


J'ai présenté la polarisation sous un mauvais jour jusque-là, mais c'est quelque chose que nous désirons et encourageons (dans une certaine mesure).

Bien que la polarisation fasse varier davantage l'apport potentiel de points des jeux, nous estimons que ces variations sont atténuées suffisamment par les mécaniques naturelles de Gwent et les outils de cohérence plus puissants que nous avons ajoutés au fil des ans. 

Mais le plus important, c'est que la polarisation rend le jeu plus intéressant ! Les différences plus grandes entre les cartes ajoutent aussi de la profondeur et de la complexité au système d'enchères. Il nous est tous arrivé de devoir jouer à contrecœur une carte puissante alors qu'une carte faible aurait suffi, et nous connaissons donc tous le sentiment de gâchis qui en découle. En raison de ça, il est parfois préférable d'échanger des cartes puissantes dans les premières manches pour ne pas avoir à les jouer inutilement.

Les cartes ayant un coût de recrutement élevé sont aussi des pièces essentielles de grands archétypes, autour desquelles il est amusant de construire un jeu (pensez à l'impact des Scénarios !). C'est en partie pour cela que les extensions récentes se concentraient davantage sur l'ajout de cartes ayant un coût de recrutement élevé (c'est-à-dire 11+).


Pour conclure cet article, même s'il peut être tentant de réduire GWENT à une bataille de coûts de recrutement, il est important de rappeler que c'est bien plus que ça. Mettre en œuvre les synergies de vos cartes, interrompre celles de votre adversaire ou jouer des cartes de valeur très variable (exemple : Fournaise de Korath), tout cela vous permet de "générer" de la valeur. Et le facteur le plus important est la manière dont vous répartissez ces points entre les manches. Même si votre adversaire dispose de plus de points, le fait qu'il doive les répartir entre 3 manches fait qu'il vous restera toujours un moyen de gagner !

En bonus, je vous recommande vivement de regarder l'excellente vidéo de Gorflow sur "The rule of 16" sur la chaîne YouTube de The Council (https://www.youtube.com/watch?v=2kCDey-pi34&ab_channel=TheCouncil). Elle explique comment la polarisation influe sur la façon de créer et jouer les jeux.